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5 mars 2013 2 05 /03 /mars /2013 07:59

Revue de presse
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Xavier Timbeau : «Le gouvernement français paie son non-discours sur l'austérité» | Par Martine Orange



À de nombreuses reprises, Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a donné l’alarme sur les dangers de la politique d’austérité menée par les gouvernements de droite comme de gauche. Dès juillet, il livrait avec ses collègues une étude prémonitoire sur les risques encourus pour l’économie française à s’accrocher « coûte que coûte » à la règle des 3 % de déficit, choisie par le gouvernement. « La généralisation, la poursuite de cette stratégie (d’austérité) portera un sérieux coup de frein à la croissance économique : elle ne permettra ni un retour à l’équilibre des finances publiques à l’horizon 2017 ni une amélioration sur le front du chômage », avait averti l’OFCE, en en chiffrant déjà les effets. Le taux de chômage dépassera la barre des 11 % dès 2014, prédisaient les économistes.

Les faits viennent de leur donner raison. L’économie française est en récession, avec guère d’espoir d’amélioration sur l’ensemble de 2013. Le taux de chômage frise déjà les 10 % et l’objectif de 3 % de déficit public ne sera pas atteint fin 2013, comme le gouvernement s’y était engagé.

Xavier Timbeau revient sur la stratégie économique du gouvernement, qui semble totalement pris au dépourvu depuis l’annonce de cette révision du déficit. Pour l’économiste, le gouvernement paie sa stratégie de dénégation. Il a refusé d’assumer politiquement auprès des Français la politique d’austérité qu’il menait. Et il n’est même pas crédité des efforts « considérables » accomplis, l’Allemagne restant persuadée que la France n’a rien fait. Une double erreur politique et diplomatique qui risque de se payer cher, selon lui.

Mediapart. Une grande nervosité s’est emparée du gouvernement depuis l’annonce que la France ne respecterait pas la barre de 3 % de déficit budgétaire en 2013. Pourquoi une telle panique, selon vous ?

Xavier Timbeau. Ce n’est pas de la panique. C’est « la stratégie du choc » de Naomi Klein. La situation est dramatisée à l’excès. Le gouvernement semble avoir perdu toute capacité de raisonnement. On est dans l’auto-dénigrement complet. Commerce extérieur, niveau scolaire, fuite des grandes fortunes, tout y passe. Le discours ambiant est celui du déclin, de la faillite. C’est le choc.

Au fur et à mesure de la dégradation de l’économie française et européenne, il était prévisible que cet objectif des 3 % ne serait pas atteint, fin 2013...

Le gouvernement savait au moins depuis novembre qu’il n’obtiendrait pas le pourcentage de 0,8 de croissance retenu pour établir la loi de finances, et donc qu’il ne respecterait pas les 3 % de déficit. Mais plutôt que le dire, de négocier avec les autres européens, de s’expliquer, il a préféré s’en remettre à la commission européenne et ne rien assumer. C’est une faute majeure. Nous risquons de la payer lourdement.

Aujourd’hui, le gouvernement est totalement pris à contre-pied dans sa stratégie économique. Quand il est arrivé au pouvoir, il avait un plan qui s’est affiné au fil des mois. Il avait en tête de faire un budget d’austérité pour 2012-2013, afin d’atteindre un déficit budgétaire de 3 %, comme il s’y est engagé auprès de la commission européenne. Puis, après ces deux années d’effort, la croissance reviendrait. C’est ce schéma-là qui a été négocié avec Berlin en juillet 2013.


Ce scénario ne pouvait pas réussir

Il n’y a pas eu de débat sur son opportunité. L’Élysée ne l’a pas voulu. Toutes les velléités de discussion ont été tuées dans l’œuf. Il n’y a pas eu d’exclusion de ministres, mais au niveau des cabinets, la reprise en main a été très dure. Tous les membres de cabinet qui n’étaient pas dans la ligne ont été sortis.

Ce scénario ne pouvait pas réussir car il y a eu une erreur majeure, dont la commission européenne est en grande partie responsable. Cette erreur, c’est la sous-estimation des effets du coefficient multiplicateur. C’est-à-dire l’estimation des effets récessifs dans l’économie liés à la suppression des dépenses publiques. Les experts de la commission européenne ont jugé que ceux-ci étaient peu importants, contrairement à ce que nombre d’économistes soutenaient. Le FMI, qui pourtant n’est pas réputé pour son laxisme, les a alertés.

Mais la commission européenne a maintenu ses positions, en disant qu’elle ne croyait pas à ces analyses. Elle était persuadée que les pays européens allaient parvenir au seuil magique des 3 %, sans que cela n’aggrave la récession en Europe. La réalité les a rattrapés.

Qu’aurait dû faire le gouvernement ?

Le gouvernement a pris les Français pour des imbéciles. Il a tenu un discours infantilisant, faisant de la rigueur sans le dire, niant les efforts demandés. À aucun moment, il n’a porté le discours de redressement des comptes publics. Il ne l’a jamais assumé, se réfugiant dans le silence. Les efforts faits, pourtant, sont considérables. Depuis 2010, le déficit budgétaire structurel a diminué de 5 %, ce qui correspond à peu près au budget de l’éducation. C’est du jamais vu dans l’histoire du pays, en période de paix.

Le pire, c'est que la France perd une grande partie des bénéfices politiques de ces efforts. Le gouvernement, n’assumant pas le discours d’austérité, n’est pas en position favorable face à l’Europe. À l’inverse de l’Espagne et de l’Italie, qui ont insisté sur leurs mesures prises, la France n’a rien dit. Faute de souligner ce qui a été entrepris, l’Allemagne est persuadée que la France n’a rien fait. C’est un gâchis politique et diplomatique majeure.

L’Allemagne justement exige que la France s’en tienne à ses objectifs de 3 %, malgré tout. Pourra-t-on résister ?

Difficilement si l’on s’en tient à l’attitude actuelle. Le coup, en tout cas, est parti pour 2013. On a entériné la récession. Il faudrait pouvoir dire qu’on arrête en 2014, que certains dossiers soient rouverts. Il faudrait notamment accepter de remettre de la dépense publique pour accompagner certains dispositifs comme le chômage partiel.

Mais, pour cela, il faut que le gouvernement ose tenir un langage clair et ferme. Ce qu'il ne fait pas. Il pourrait mettre en avant les chiffres et dire que maintenant il maintient le cap sur les déficits structurels mais refuse de prendre de nouvelles mesures d’austérité. Il ne le fait pas. Tout le monde au gouvernement donne le sentiment d’être tétanisé par l’Allemagne et la commission européenne.


La commission européenne s'arc-boute sur ses dogmes

Les élections italiennes peuvent-elles changer l’approche européenne ?

Ce serait souhaitable. Mais je crains que la commission européenne ne s’en tienne à son dogme. Elle porte une lourde responsabilité dans ce qui se passe en Europe en refusant de reconnaître son erreur d’analyse. Au lieu de souligner les efforts faits, d’encourager les uns et les autres, elle s’acharne au contraire sur le respect coûte que coûte de la rigueur, obsédée par la crédibilité vis-à-vis des marchés. Elle aurait pu avoir un rôle de médiateur, en aidant les pays en difficulté à expliquer leur situation, en appuyant leur position, en temporisant sur l’austérité à tout crin. Mais elle a choisi de se ranger dans le camp du dogme. Elle s’arc-boute sur ces 3 %, en ne voulant rien entendre. Et après, elle s’étonne des résultats des élections italiennes.

La Cour des comptes multiplie les propositions de réforme depuis plusieurs semaines. Que pensez-vous de ces suggestions ?

Des idées d’économie, de coupes budgétaires, la Cour des comptes en a plein les tiroirs. Mais sa réflexion ne dépasse pas celle d’un comptable. Elle est juste là à pointer un milliard ici, deux milliards là, sans se poser la question des conséquences. C’est ahurissant de voir que les solutions, telles qu’elle les propose, puissent émerger comme cela, sans discussion sur leur opportunité, sans hiérarchie dans leurs priorités, sans articulation avec un projet de société.

Dans ce contexte de choc où nous nous trouvons, quelque personne que ce soit, même en proférant des choses déconnectées de la réalité, apparaît comme porteuse de solutions. On arrive au point où de soi-disant experts, qui ne sont pas dépourvus de dogmatisme, ou qui représentent des intérêts particuliers bien compris, arrivent à faire basculer les situations.

Regardez ce qui s’est passé avec Louis Gallois et son discours pointilliste sur la compétitivité. Toute le monde a crié au génie, alors qu’il passe à côté d’une grande partie du problème. Il n’a pas parlé de l’austérité, de ceux qui la portaient ou devraient la porter, il n’a pas parlé de politique monétaire... Tout cela est trop complexe. On a préféré une idée simple, facilement vendeuse, qui, à force d’être simple, en devient simplissime.

Le gouvernement entend engager une nouvelle réforme des retraites. Comment jugez-vous ce projet ?

On repart dans des réformes de court terme, qui vont à nouveau peser sur l’activité, renforcer l’austérité. Il serait plus raisonnable de poser les problèmes tranquillement, que ce soit l’allongement de la durée des cotisations, de l’homogénéité des systèmes, et en étalant les mesures dans le temps, de façon à construire un système crédible. Mais non, on préfère gratter quelques milliards tout de suite, ce qui ne résoudra en rien le problème.

Vous avez le même jugement sur la réforme des allocations chômage ?

C’est encore pire. Alors que l’on sait que le chômage va s’aggraver en 2013, qu’il va falloir à la fois gérer les personnes de plus en plus nombreuses en chômage de longue durée et les nouveaux chômeurs du fait de la récession, ce n’est pas le moment de couper les allocations. C’est un des segments où, au contraire, il faudrait augmenter la dépense pour accompagner ce sinistre social. Ce serait d’autant plus justifié que ces dépenses sont réversibles.

Qu’il y ait besoin d’une réforme pour rendre le financement plus clair, uniformiser les régimes, plafonner peut-être certaines prestations, c’est incontestable. Mais encore une fois, ces efforts doivent se faire sur plusieurs années. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait aucun impact sur 2013. La situation est déjà assez tendue, comme cela.


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