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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 13:41

Revue de presse   
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Retraites : une seule solution, consacrer plus de ressources ! | Par Rachida El Azzouzi

Le vaste chantier des retraites entre ce mercredi 27 février dans une nouvelle phase avec l'installation par le premier ministre d'une commission, qui devrait disposer de deux à trois mois pour élaborer des pistes de réforme (lire notre article ici). Ce sera la quatrième réforme en vingt ans et la première sous la gauche. Entretien avec le sociologue Nicolas Castel, chercheur associé au centre d'études de l'emploi et à l'institut européen du salariat, auteur de La Retraite des syndicats (Éditions La dispute, 2009). Pour ce spécialiste des retraites, « il faut renouer avec le sens premier du mot réforme, à savoir une amélioration dans le progrès, et non avec cette espèce de rite sacrificiel qu'elle est devenue ».


 

Le gouvernement a décidé d’accélérer le pas et d’initier une nouvelle réforme des retraites avant la fin de l’année. Ce sera la quatrième en vingt ans. À chaque gouvernement, sa réforme des retraites ?


http://static.mediapart.fr/files/media_202709/Capture_decran_2013-02-26_a_19.33.37.pngNicolas Castel©  Cette expression de “déficit chronique” des régimes de retraite, répétée à l'envi, est un abus de langage qui clôt le débat. L'équilibre ou non des cotisations sociales et des prestations sociales à un moment ne se pense pas comme le bilan comptable d'une “entreprise défaillante”. Notre système par répartition n'est pas une “entreprise”. C'est la part la plus importante de la Sécurité sociale qui est, comme l'université ou l'école, une institution sociale et plus précisément salariale. Cette institution salariale n'est en aucun cas “défaillante”. Au contraire, elle se développe depuis la Seconde Guerre mondiale et est d'une grande solidité. Elle a inspiré et inspire encore de nombreux pays même si, depuis le milieu des années 1980, tout est fait en France pour en réduire la portée.

 

Les branches maladie et retraite drainent chaque année plusieurs centaines de milliards d'euros, un flux de ressources socialisées (ou si vous préférez mutualisées) que des acteurs privés aimeraient bien pouvoir exploiter. Or c'est l'État avec l'appui des représentants du patronat et des salariés qui gère ce flux de ressources. Dans la mesure où les retraités sont plus nombreux et en meilleure santé, il faut soit leur consacrer plus de ressources, soit les appauvrir, soit faire travailler plus longtemps les futurs retraités. Seule la première option est progressiste et émancipatrice mais cette dernière est exclue depuis un quart de siècle.

 

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Manif contre les retraites en 2010© reuters

L'objectif de cette réforme est aussi de répondre aux prévisions du Conseil d’orientation des retraites. Dans ce rapport, l’organisme pointe un besoin de financement de plus de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020. La réforme de 2010, pourtant très décriée par la gauche et jugée injuste, n’a donc pas suffi ?

Si l'on veut saisir l'enjeu des retraites, il ne faut pas s'en laisser imposer par le petit jeu des projections. Mais 20 milliards d'euros en 2020 dans un système qui aura vu d'ici là transiter par lui plus de 3 000 milliards d'euros, ce n'est rien. Un éventuel besoin de financement de 105 milliards d'euros d'ici 2060 ou, à cette même date, un éventuel excédent de 93 milliards d'euros dans un système qui d'ici là aura vu transiter probablement plus de 16 000 milliards d'euros, c'est plutôt la preuve que le système est là pour durer. On a tendance à déduire de ces projections que nous n'avons pas d'autre choix que de “faire des sacrifices”. Or bien sûr que nous avons le choix. 20 ou 105 milliards d'euros supplémentaires à prendre d'ici 10 ou 50 ans dans le “gâteau” du PIB qui sera plus gros n'est pas un “problème”, c'est un choix politique.

 

Le vrai problème au sens d'“enjeu de société”, et vous l'avez d'ailleurs évoqué dans votre première question, est le suivant : voulons-nous vivre dans une France et une Europe soumises au petit monde de la finance ou avons-nous un autre projet de société pour le demi-siècle à venir ? Autrement dit, voulons-nous pousser plus loin les institutions salariales (sécurité sociale, salaires conventionnés, Smic, statuts de la fonction publique, etc.) qui, depuis plusieurs décennies maintenant, aspirent à fonctionner sur un mode démocratique ? Ou est-ce que nous nous abandonnons à l'oligarchie financière qui a fait son retour depuis le milieu des années 1970 alors qu'elle avait déjà échoué dans les années 1930 à porter un vrai projet de société ? C'est dit avec trop d'emphase à mon goût mais je veux bien faire comprendre que le salaire et la protection sociale, tels qu'ils se construisent depuis grosso modo la fin de la première guerre mondiale, sont des institutions qui s'opposent frontalement à tout ce que peut porter la sphère financière, cet ennemi qui n'est “invisible” que pour ceux qui ne veulent pas le voir. 

 

Au sujet de la réforme Woerth de 2010, celle-ci n'a jamais eu vocation à assurer le financement des retraites sur le long terme. Il s'agissait de faire sauter l'âge symbolique des “60 ans”. C'est-à-dire la possibilité d'obtenir une pension de base au taux plein dès 60 ans à condition de disposer de 37,5 annuités. La droite et le patronat n'ont jamais pu supporter cet âge de “60 ans” qui pour eux représentait une victoire des socialistes, ce qu'il n'est d'ailleurs pas !

 

Il s'agissait au contraire de l'aboutissement d'un long processus historique entamé il y a plus de cent ans avec la retraite des fonctionnaires ; et de prendre acte du fait qu'au début des années 1980, avant même que l'ordonnance de 1982 n'ait été ratifiée, 40 % des nouveaux retraités liquidaient déjà leur retraite à 60 ans ou avant grâce à un certain nombre de dispositions concernant des publics cibles.

 

«On a déjà commencé à faire “payer” une partie des retraités à travers la CSG, cette monstruosité»

La commission pour l’avenir des retraites, qui entre en piste ce mercredi 27 février, aura trois mois pour formuler des pistes de réformes. L’une des principales pistes envisagées est de faire payer les retraités, les actifs ayant été mis fortement à contribution lors des précédentes réformes. N’est-ce pas risqué pour Hollande de demander un effort aux retraités quand on sait que leur sort est très contrasté ?


Les socialistes n'en sont pas à leur coup d'essai en la matière. On a déjà commencé à faire “payer” une partie des retraités à travers la CSG. Avec la CSG, on a fait d'une pierre deux coups : en la substituant aux cotisations patronales, on a déresponsabilisé les employeurs à et les salariés ont eu du mal à voir que cette diminution des cotisations patronales équivalait à une réduction du salaire socialisé dont ils profitent un jour ou l'autre lorsqu'ils sont malades, chômeurs ou retraités.

 

Il y a dans cette piste envisagée de profondes injustices en perspective, d'autant que la situation des retraités, qui s'était largement améliorée depuis les années 1960, se dégrade depuis quelques années du fait précisément des réformes Balladur, Fillon et consorts.

 

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L'inégalité homme-femme se retrouve aussi à la retraite© reuters

Mais là encore, j'aimerais me placer du côté de l'institution telle qu'elle s'est construite. Nous avons, et je pense que c'est la force de notre “modèle social” comme on dit, des institutions sociales qui portent en elles des logiques différentes. Celles financées par l'impôt sont plutôt redistributives, des riches vers les pauvres, ou professionnelles-publiques lorsqu'il s'agit d'assurer des services publics. Celles financées par la cotisation sociale, comme c'est encore majoritairement le cas pour la protection sociale, sont plutôt interprofessionnelles et distributives. Elles organisent en effet une mutualisation du salaire et orientent solidairement sur la base de droits et de devoirs, et non parce que nous serions dans le besoin, le flux de ressources en direction des retraités, des chômeurs, des malades, des accidentés du travail, etc. Et de ce fait, elles reconnaissent pleinement ces derniers comme des salariés à part entière bien qu'ils ne soient pas en situation d'emploi. Je pense que nous n'avons pas pris toute la mesure de cette révolution.

 

Il y a entre l'impôt et la cotisation sociale des enjeux politiques considérables. Ce n'est pas qu'une histoire de financement et de tuyauterie... Vouloir faire cotiser une nouvelle fois les retraités alors qu'ils ont déjà largement contribué hier au système apporte beaucoup de confusion. Pour ce qui est de la Sécurité sociale, ils ont largement rempli leur rôle. La question importante revient plutôt à trouver les moyens d'engager au niveau français et européen une véritable politique salariale et d'exporter à travers le monde notre “modèle social”. Imaginons maintenant que tous les retraités deviennent des coqs en pâte, eh bien, tant mieux ! Si c'est le cas, nous aurons bien avancé dans le projet de “société du bien-être” qui est au cœur de la Sécurité sociale d'après-guerre. À ce moment là, rien ne nous interdit d'inventer une nouvelle institution publique dédiée à la dépendance que les retraités financeront intégralement par une contribution qu'il faudra déterminer. L'avenir est à la protection sociale.  

 

Conscient que le sujet est explosif, le gouvernement n’a cependant pas dit un mot sur les inégalités entre les différents régimes : fonctionnaires, régimes spéciaux, salariés du privé... Qu’en pensez-vous ?


Au sujet des inégalités entre les différents régimes, cela dépend pour beaucoup de la mise en perspective que vous faites. Si vous regardez les choses comme moi sur le temps long, vous ne pouvez être que surpris positivement par le chemin parcouru. La disparition d'un grand nombre de régimes faute de cotisants et de retraités, l'alignement progressif des règles des régimes du privé sur celles du régime général, la construction de régimes pour les indépendants qui n'en voulaient pas au départ, les 60 ans et les 37,5 annuités pour tous, la prise en compte des dix meilleures années de salaires pour les gens du privé ou du traitement des six derniers mois pour les fonctionnaires, le système de compensation entre les caisses, tout cela a réduit considérablement les inégalités entre gens du public et gens du privé, entre hommes et femmes, entre salariés et indépendants, etc.

 

Par contre, si vous vous placez sur le temps court des dernières réformes, vous constaterez que cette marche en avant dans la réduction des inégalités a été ralentie. Au contraire, la stratégie des différents gouvernements est connue : il s'agit de réformer par morceaux et d'opposer ensuite les salariés du privé et du public afin de poursuivre la réforme.

 

«Il faut renouer avec le sens premier du mot réforme, un progrès, pas un rite sacrificiel»

Les syndicats, qui négocient actuellement dans la discrétion la désindexation temporaire des pensions des régimes complémentaires (Arrco et Agirc), restent prudents pour l’heure. La CFDT ne parle plus de réforme systémique. Seule la CGT s’est indignée d'une baisse des pensions. Dans votre ouvrage La Retraite des syndicats (Éditions La dispute, 2009), vous avez analysé les positions syndicales sur ce sujet éminemment sensible. Pourquoi les syndicats n'arrivent-ils pas à s'entendre sur la question des retraites ?


Je ne reviendrai pas sur le détail de leur position par le passé. Effectivement, leur gestion des retraites complémentaires est calamiteuse mais il faut avouer que tant que nous n'affronterons pas sérieusement le pouvoir actionnarial qui mine nos entreprises, leur marge de manœuvre restera limitée. Par contre, peut-être faut-il rappeler deux choses. Premièrement, la bataille des retraites sur le volet de la capitalisation a en partie été gagnée par la CGT et FO. Si la capitalisation était passée, la crise de 2007 aurait eu un impact catastrophique sur les pensions. Deuxièmement, la bataille des retraites a aussi largement été perdue notamment à cause de l'attitude de la CFDT en 2003. Elle n'a malheureusement tiré aucune leçon de l'épisode de 2003, comme on peut le voir avec son abandon progressif de la question de l'âge de la retraite pour lui préférer la durée de cotisation, et sa volonté d'engager une “réforme systémique” en lorgnant vers les points et les comptes notionnels. Or ces systèmes hyper-contributifs sont anti-femmes, anti-salariaux, injustes et illisibles pour le commun des mortels. Il faudra s'y opposer avec la plus grande détermination.

 

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Chérèque et Thibault en 2010 contre la réforme Woerth© reuters

En France, l'âge de la retraite cristallise les débats. Quelle devrait être pour vous la vraie et juste réforme ? Faut-il par exemple encore allonger la durée de cotisations comme certains le réclament ?


Certainement pas ! L'avenir est plutôt à des formes de discontinuités qu'on pourra espérer positives entre situations d'emploi et situations de non-emploi. Il faut donc arrêter cet allongement indéfini de la durée de cotisation. Je pense au contraire qu'il faut renouer avec le sens premier du mot réforme, à savoir une amélioration dans le progrès et non cette espèce de rite sacrificiel qu'elle est devenue.

Assumons d'abord cette révolution sociale que nous avons connue en rétablissant la retraite telle qu'elle était jusqu'au milieu des années 1990 : possibilité pour tous de pouvoir partir à 60 ans au taux plein avec un salaire de référence prenant en compte les dix meilleurs années de la carrière pour une durée de cotisation de 37,5 annuités. Cela donnait des taux de remplacement du dernier salaire par la première pension de 70 à 100 %. Voilà un droit à la retraite lisible pour tous. Nous pourrons ensuite améliorer le système en garantissant des taux de remplacement et en mettant en place une négociation quinquennale ou décennale tripartite où chaque grand critère (âge, durée de cotisation, salaire de référence, évolutions du taux de cotisation, garantie du taux de remplacement, indexations) pourra être amélioré en étant attentif aux évolutions de la société.

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